Aujourd'hui une interview réalisée par mes soins d'un membre de la nouvelle génération d'auteurs et de passionnés de cryptozoologie, j'ai nommé monsieur Jean Roche.
Intervenants
P. M. : Philippe Mind
J. R. : Jean Roche
P. M. : Bonjour, vous êtes Jean Roche, traducteur du fameux livre de Dmitri Bayanov "In the footsteps of the russian Snowman" sorti en français sous le nom de "Sur les traces de l'homme des neiges russes" et vous êtes surtout l'auteur du livre "Sauvages et velus" paru en 2000, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
J. R. : Forézien d'origine, j'habite la Drôme. J'ai 59 ans, marié, deux enfants, je me suis enlisé dans des études universitaires scientifiques, je poursuis une carrière de fonctionnaire pas des plus exaltantes. S'il y a quelque part un Dieu qui m'a fait pour quelque chose, je considère que c'est plutôt pour ce que j'essaie vaille que vaille de capter, compiler, et comprendre sur bien des sujets (totalitarisme, antisémitisme, cancer, etc.). Je suis d'une manière générale passionné par le monde animal (concrètement, je n'ai jamais eu d'animal de compagnie et cela se traduit surtout par la photo y compris d'insectes). Concernant l'hominologie (terme proposé par Dmitri Bayanov), la question du Yéti m'a passionné depuis Tintin au Tibet, relayé par Bernard Heuvelmans et son style flamboyant (qui fait aussi qu'on ne voit pas facilement les failles dans ses argumentations). J'ai longtemps correspondu avec lui, nous nous sommes parfois accrochés (par exemple il ne voulait pas admettre que le "garçon de Kronstadt" pouvait être à la fois néandertalien ou quelque chose de proche) et autiste. Mais ce que je défends surtout, c'est que s'il y a blocage (trop d'éléments pour quelque chose qui n'existe pas, pas assez d'éléments pour quelque chose qui existe), c'est que nous ne pouvons pas, intellectuellement, conceptuellement, moralement, émotionnellement, affronter et assumer un être qui n'est ni franchement humain ni franchement animal.
Jusqu'en 1998, je m'intéressait passivement au dossier, je recevais des revues, accumulais de la documentation. Un jour, j'ai vu dans VSD un article de Bernard Heuvelmans, avec une carte du Monde montrant les cryptides. J'ai vu une image signifiant bigfoot dans le secteur du Minnesota, ce qui m'a surpris. Je me suis souvenu de son livre L'Homme de Neanderthal est toujours vivant, et qu'il y rejetait une version selon laquelle le spécimen congelé qu'il avait observé avait été abattu dans cet état, celui de son détenteur. J'ai relu le passage, et un détail m'a causé un des grands chocs de ma vie, celui du cerf éventré par les créatures. Je venais justement de trouver sur Internet une enquête de Matt Moneymaker parlant de cerfs éventrés par des bigfoots, qui plus est dans cette même région des Grands Lacs, qui plus est également à l'automne ! C'est ce qui m'a conduit à rédiger Sauvages et velus, où je soutiens notamment que cette version a toutes les chances d'être la vérité, et que les versions divergentes sont faciles à démonter, mais aussi à expliquer quant à leurs motivations.
P. M. : On a pu lire ou entendre que vous défendiez une théorie selon laquelle le bigfoot ou sasquatch selon la localité seraient des descendants des néandertalien ce qui signifierait que contrairement à ce qu’on a dit la lignée néandertalienne ne s’est jamais éteinte, même si l’on sait depuis le début de l’année 2010 grâce à l’équipe de Svante Pääbo que néandertal est dans nos gênes (Voir ici) ?
J. R. : Pour le Bigfoot ou Sasquatch, c'est plus complexe, ou alors tout dépend de ce qu'on englobe dans "neandertalien". S'agissant du cas le plus connu, "Pattie" (du film de Patterson), ce qui s'en approche le plus dans les fossiles pour la morphologie et même la taille, c'est l'Homme de Rhodésie ou de Broken Hill (aujourd'hui Kawbe en Zambie), dont on retrouve des cousins en Europe donc dans la zone biogéographique dite paléarctique (de même bien entendu que H neandertalensis). Quand je dis "fossile", je m'empresse de nuancer car je le considère de moins en moins comme fossile. Au moins sur ce point, jusqu'à plus ample informée, je considère comme probante, en tout cas impressionnante, la démonstration de Jack Cuozzo, voir http://www.angelfire.com/tv/buriedalive/brokenhill.html (il me semble qu'elle a été plus développée, j'ai dû l'imprimer quelque part). Dommage que Cuozzo lui-même soit un créationiste exalté avec lequel il est très difficile de discuter. Mais dès 1972 John Napier considérait que d'après les empreintes il devait y avoir deux types bien distincts de bigfoots, le "type Bluff Creek" et le "type Bosburg" (longue piste découverte dans ce village du Washington en 1969, célèbre pour la déformation d'un des pieds). Le premier se rapproche apparemment de H rhodesiensis (en généralement plus grand). Le second correspond à l'Iceman du Minnesota (bien du Minnesota selon moi), mêmes pieds très larges dont je pense qu'ils sont une adaptation aux marécages. Une anecdote à ce propos : un certain Cliff Crook, bien connu (et contesté) dans la Bigfoot Community, affirme avoir vu dans son adolescence, en 1956, ce qu'on allait appeler Bigfoot deux ans plus tard, dans un marécage du Washington. Son père lui avait alors interdit d'en parler à d'autres. Depuis, il soutient que l'Iceman du Minnesota est bien un bigfoot... et que le film de Patterson est un faux. Il faut croire que l'un correspond à ce qu'il avait vu, et pas l'autre...
Après, il faut bien dire qu'au moins parmi les scientifiques impliqués (Jeff Meldrum, feu Grover Krantz...) la thèse qui tient la corde concernant Bigfoot est celle du Gigantopithèque. Je soupçonne qu'il y a une grosse part de politique : Ca l'éloigne de l'humain, et il y a un message sous-entendu, parfois explicite, aux chasseurs : vous pouvez faire un carton, et alors pensez à nous ! Parce que, sinon, le Gigantopithèque était plutôt un très grand gorille dont rien ne prouve qu'il était bipède, et que lui ne faisait pas vraiment partie de la zone paléarctique (ours, loups, rennes, etc. etc.) qui a colonisé l'Amérique du Nord à partir de la Sibérie quand le Détroit de Behring était un isthme, lors de la dernière glaciation. Son seul vrai argument est sa taille, mais la taille peut évoluer très vite pour peu que la pression de sélection y pousse. J'ai rédigé là-dessus un article pour Bipedia que j'ai aussi mis en ligne sur http://pagesperso-orange.fr/daruc/taille.htm
P. M. : Votre livre « Sauvages et velus » a un dans son titre une citation intéressante je cite « Enquête sur des êtres que nous ne voulons pas voir », pensez vous que cela arrange le commun des mortels de ne pas les voir car cela est gênant ? Y aurait-il un complot ou quelqu’un qui souhaiterait qu’on ne les voit pas d’après vous ?
J. R. : Quand on découvre ce problème, on tend à croire qu'il se pose, qu'on "les" entrevoit, dans des régions extrêmement reculées et difficile d'accès. Et on finit par se retrouver dans des banlieues de grandes villes américaines ou autres. C'est un cas unique dans la cryptozoologie. Aucun autre cryptide ne montre une telle ubiquité. L'impossibilité chronique de "prouver" n'en est que plus incroyable.
Il s'agit pour moi d'un blocage psychologique, émotionnel, profond, qui ne touche pas seulement les "sceptiques". Beaucoup de tenants refusent de voir le côté humain, même Boris Porchnev qui pourtant voyait des néandertaliens partout, et il est quand même difficile de ne pas concéder un certain niveau d'humanité à ces derniers. Bernard Heuvelmans refusait de voir qu'il y a problème. J'ai développé ce point dans un article de Bipedia que j'ai aussi mis en ligne : http://pagesperso-orange.fr/daruc/blocage.htm (j'ignore si aujourd'hui je m'amuserais à énumérer des théories psychologiques, mais c'est quand même pratique).Quant au "complot", outre que c'est un excellent moyen de ne pas être pris au sérieux, je n'en ai pas besoin. Je serais plus porté à parler de "névrose d'échec collective" (et je ne prétends pas y échapper), vu qu'à chaque fois que la "preuve décisive" semble à portée de main tout tourne de travers, comme ce qui empêche chroniquement certains contrats d'être signés dans une célèbre BD, ou ce qui empêche non moins chroniquement certain vizir de devenir calife dans une autre célèbre BD. Ce facteur, c'est pour moi l'impossibilité d'assumer un être qui n'est ni franchement humain ni franchement animal. C'est ce qui fait que les personnes qui se retrouvent, le plus souvent à l'improviste, en première ligne se trouvent dans une situation insupportable et finissent par "craquer". C'est aussi ce qui m'avait frappé à travers les récits reproduits par Dmitri Bayanov dans Sur la piste de l'Homme des neiges russe, que j'ai résumé dans la page http://pagesperso-orange.fr/daruc/dmitri.htm. Elle m'a valu d'être chargé de sa traduction, ce qui m'a permis d'être publié moi-même.
P.M. : Ce livre l'homme de néanderthal est toujours vivant (Voir ici) a été réédité en 2011, on y trouve quelques notes supplémentaires de Jean-Jacques Barloy et des photographie inédites ? Que pensez vous de l'initiative ? Mauvaise chose ou bonne chose ?
J. R. : Cette réédition était très attendue. Les exemplaires de la première atteignaient parfois des prix astronomiques. C'est quand même une somme exceptionnelle (ne serait-ce que par le style flamboyant des auteurs). Je n'en émet pas moins des réserves. Il y a quelques notes de bas de page de Jean-Jacques Barloy pour actualiser. Je les trouve très insuffisantes, à la limite il valait mieux ne rien mettre. Aucune information sur ce que sont devenus ensuite le cadavre, et son détenteur (je sais par ailleurs que Hansen a rendu la pièce au "propriétaire" en 1975 après un infarctus, qu'il s'est exprimé sur le sujet dans Fortean Times en 1995, qu'il est décédé en 2003...). La seule donnée, très brève, concernant des contestations, au sein de la communauté cryptozoologique, des thèses soutenues par le livre est la vague mention que Loren Coleman a nié à un moment l'authenticité du "spécimen". De même, pour la première partie de Porchnev, deux lignes évoquent vaguement les observations ultérieures en Russie. D'une manière générale, les seules références bibliographiques ajoutées sont des fictions... Accessoirement, la première édition ne montrait que des photos en noir et blanc du cadavre congelé, peu explicites. La nouvelle édition ajoute des vues en couleur, mais trop petites et de qualités insuffisante pour apporter vraiment un plus.
P. M. : Je ne sais pas si cette question est vraiment utile mais quel est votre cryptide préféré ?
J. R. : En fait les seuls qui m'importent vraiment sont ceux qui s'approchent un tant soit peu de nous. Cela dit, les serpents géants, les mammouths et quelques autres me fascinent, mais je n'ai aucun moyen d'aller plus loin.
P. M. : Pour finir quelles sont les dernières découvertes et informations importantes dans la recherche des hominidés inconnus d’après vous ?
J. R. : Il y a toujours des témoignages et même des prises de vue qui arrivent, j'avoue avoir du mal à discerner ce qui pourrait être plus décisif... peut-être de plus en plus de signalements en France même, ou dans les pays voisins, ce qui est à la fois excitant et déstabilisant.
Les bonnes surprises de ce début de millénaire sont venues à mon sens de la paléoanthropologie. Surtout Homo florensiensis, admis non sans résistances à partir de 2003. Moins connu, je pense d'ailleurs être le seul à avoir fait le rapprochement, on a découverts que des néandertaliens des Pradelles (Charente) avaient pour habitude de chasser de jeunes cerfs en automne (D'après l'usure des dents des proies), et de consommer notamment la moëlle des os longs puisque ces derniers étaient intentionnellement brisés. L'intérêt, c'est que ces trois points, prédations de faons, en automne, pour entre autres la moëlle des os, se retrouvent dans de nombreux témoignages sur des bigfoots notamment de la région des Grands Lacs ! Et le premier de ces témoignages à ma connaissance (au moins pour la saison et la prédation d'un cerf) n'est autre que celui de Frank Hansen dans sa version dite "Saga" de l'origine de son "spécimen", ce qui m'a permis de réévaluer cette version discréditée par Bernard Heuvelmans, et de relancer l'intérêt (vu dans Le singe, l'embryon et l'Homme de Jean Chaline et Didier Marchand, Ellipse, 2010).
Merci à Jean Roche d'avoir accepté de répondre à mes questions, et espérons que le voile sur l'existence des hominidés inconnus sera bientôt levé.
Philippe Mind
Voir aussi :
Le super 8 de Patterson et Gimlin : Histoire d'un exploit
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